jambon numérique
Un jambon virtuel pour optimiser les vrais jambons !

Un jambon virtuel pour optimiser les vrais jambons !

Jambon sec : un simulateur de procédé permet de définir des itinéraires de fabrication conduisant à l’élaboration de produits moins salés

Résumé

Du fait de problèmes de santé publique, l’industrie agroalimentaire doit réduire la quantité de sel dans les aliments. Lors de la fabrication des jambons secs, une diminution trop forte du taux de sel se traduit par des problèmes de texture dus à une protéolyse excessive pouvant nuire à l’étape de tranchage industriel, et aussi par des problèmes de stabilité microbiologique. Dans ce contexte, l’Unité QuaPA a développé un modèle de « jambon numérique » afin de prédire spatialement, au sein d’une géométrie de jambon, les dynamiques d’évolution des teneurs en eau, en sel et celle de l’activité de l’eau (aw), et de coupler ces évolutions à celle de la protéolyse, qui conditionne la texture finale de ce produit.

jambon numérique
Exemple de cartographies des teneurs en eau (Xeau), en sel (Xsel) et de l’indice de protéolyse (IP) prédites au sein d’un jambon par le simulateur de procédé construit, au milieu et à la fin de la phase de repos réalisée à basse température. L’analyse de cette figure permet de mettre en évidence des hétérogénéités dans la distribution spatiale de ces variables

Enjeux, origines des travaux

Les qualités organoleptiques finales d’un jambon sec dépendent de la qualité de la matière première, mais aussi du bon déroulement de l’ensemble des étapes technologiques suivies, i.e. par ordre chronologique : salage (étape d’une durée comprise entre 1 et 2 semaines, réalisée à des températures comprises entre 2°C et 4°C), repos (étape réalisée à des températures inférieures à 5°C et qui dure de 8 à 10 semaines), étuvage (étape facultative d’une durée d’une semaine environ, réalisée à des températures de l’ordre de 23 à 25°C), puis séchage-maturation et affinage ; ces 2 dernières étapes, qui durent de 3 à plus de 20 mois, sont conduites à des températures comprises entre 13°C et 18°C. D’un point de vue nutritionnel, la consommation de jambon sec doit être modérée du fait d’une teneur en sel élevée (5 à 7% en masse dans le produit fini). Or, une consommation excessive de sodium dans l’alimentation humaine a été associée à une augmentation de l’hypertension artérielle et à celle du risque de maladies cardiovasculaires, d’ostéoporose, de cancers gastriques et de maladies rénales. Dans ce contexte, les industriels ont été fortement incités à réduire la teneur en sel dans les produits alimentaires. Malgré les efforts engagés, les différentes filières de l’industrie agro-alimentaire n’ont que partiellement atteint la réduction de 20% visée. La raison principale, dans le cas spécifique du jambon sec, outre des problèmes de stabilité microbiologique, est qu’une réduction trop forte du taux de sel lors de la fabrication entraîne des problèmes de texture (produit trop mou) du fait d’une protéolyse excessive, rendant difficile l’étape finale de tranchage industriel. Sachant aussi que la fabrication des jambons secs est très longue, et que donc le test de nouveaux itinéraires de fabrication ne peut être raisonnablement fait expérimentalement, le développement d’un simulateur de procédé basé sur la modélisation, avec sa grande capacité à intégrer des phénomènes d’origine différente (physique, biochimie…), s’est donc imposé comme un outil idéal pour traiter cette problématique.

Résultat principal

L’objectif de ce travail, initié dans le cadre du projet ANR Na- (ANR-09-ALIA-013-01, 2010-2013) coordonné par QuaPA et de la thèse de Rami Harkouss (2014), était de développer un simulateur de procédé de fabrication de jambons secs permettant de quantifier les effets biochimiques (protéolyse, oxydation lipidique), texturaux, structuraux et microbiologiques induits par une forte réduction de la teneur en sel lors de la fabrication d’un jambon sec. En couplant des modèles physiques de transferts de chaleur et de matière avec des modèles phénoménologiques de quantification de la protéolyse préalablement établis au laboratoire (collaboration : UMR Institut Pascal, Université Clermont-Auvergne), la version 3D du modèle de « jambon numérique » développé permet de prédire quantitativement la dynamique d’évolution de l’indice de protéolyse (IP), des teneurs en eau et en sel, ainsi que celle de l’activité de l’eau (aw), à l’intérieur d’une géométrie réelle de jambon, préalablement construite à partir d’une série de 181 images de tomographie X (fournies par l’IFIP). L’ensemble de ces variables peut être visualisé selon des cartographies (cf. exemple donné sur la Figure 1), des profils et même selon des valeurs moyennes calculées pour les principaux groupes de muscles constituant le jambon. Le simulateur qui prédit la prise de sel lors de l’étape de salage et la perte d’eau du fait du séchage permet aussi d’estimer la cinétique de pertes de poids du jambon tout au long de sa fabrication.

Le simulateur a d’ores et déjà été utilisé avec succès auprès d’un industriel désireux, tout en maîtrisant le niveau final de protéolyse, de réduire la teneur en sel de ses jambons, de par une réduction de la durée de l’étape de salage. Le modèle a permis d’estimer, en moins de 10h de calcul, les temps supplémentaires (environ 3 semaines) qu’il était nécessaire d’ajouter lors de la phase de repos réalisée à basse température, à deux lots de jambons dont la durée de salage avait été réduite de 25% et 33%, pour atteindre un niveau d’aw équivalent à celui du lot de jambons témoins normalement salés, en fin de repos (0,964 et 0,965 vs. 0,963). L’hypothèse étant qu’une même valeur d’aw en fin du repos signifie l’obtention d’un niveau de protéolyse et donc d’une texture équivalente au lot témoin, en fin de procédé.

Perspectives

Le modèle de « jambon numérique » peut être facilement complété, en implémentant des corrélations établies au laboratoire, de façon à pouvoir aussi prédire la dynamique d’évolution de l’oxydation lipidique et de paramètres structuraux ou texturaux, en fonction des valeurs locales de l’indice de protéolyse et des teneurs en sel et en eau. Toutefois, la version 3D actuelle de ce modèle doit être améliorée afin de tenir compte de la forte variation du volume du jambon due au séchage (qui peut atteindre 30 à 40% du volume initial), de façon à prédire avec plus de précision le transport du sel vers l’intérieur du jambon et afin de tenir compte aussi de la diminution de la vitesse de protéolyse en fonction du temps qui serait liée à une diminution de la quantité de protéines hydrolysables. Une version 2D tenant compte de ces deux phénomènes est en cours de développement.

Voir aussi

Harkouss R., Chevarin C., Daudin J.D., Sicard J., Mirade P.S. (2018). Developing a multi-physical finite element-based model that predicts water and salt transfers, proteolysis and water activity during the salting and post-salting stages of dry-cured ham process. Journal of Food Engineering 218, 69-79.